2.27.2024

Tout un mois de janvier


21 février 2024

Tout un mois de janvier en résidence à Dunkerque pour plonger dans l’écriture du « Recours à la nuit ». De pleines journées sans autre but qu'écrire, dans la grande chambre-bureau rythmée par la lumière qui glisse d’une fenêtre à l’autre, où nuit et jour, sommeil et rêves, texte en cours emplissent le même volume. C'était important. J'ai également écrit quelques rêves. Celui dans lequel nous visitions une grande maison circulaire en construction, seule une toute petite chambre, très précieuse, était parfaitement finie. Celui où nous étions dans une grotte comme dans une cachette, tapis dans des replis étroits, avec la vue sur la campagne lointaine en contrebas. Des rêves d’habitation, au sens plein d'habiter, en se laissant atteindre par ce qui nous entoure. En résidence, une part du travail consiste justement à se laisser atteindre. C'est pour cette dé-familiarisation que je me déplace, un dépaysement que j’exerce d’abord sur moi-même. Il s’agit d’être, ailleurs, cette personne poreuse, un peu flottante, allégée du quotidien, lestée par un désir d’écriture. Les derniers soirs, sont venus des rêves de portes battantes et de courants d’air, de franchissements moins agréables. Il était temps de rentrer. Je ne pouvais plus ajourner ce qui s'accumulait et qu’il y avait à faire. Cette semaine, à l'issue d’un examen nécessitant une anesthésie générale, dans ce qu’on appelle “la salle de réveil” de l’hôpital, je me revois tapotant sur mes paupières d’un index puis de l’autre comme sur un clavier, les yeux fermés. Que faites vous avec vos yeux, Madame ? J’écris, je prends des notes.


11.29.2023

Écrire pour penser ce qui se trame

 
29 novembre 2023

Écrire pour penser ce qui se trame. Provoquer des croisements. Relier. Cette 1ère résidence de 4 jours m’a permis de plonger dans la commande d’un texte sur les sols, à partir d’entretiens auprès d’agriculteur, archéologue, éleveuse,  viticulteur, géologue, astrophysicien, naturaliste etc., pour un projet de concert radiophonique : « Sols 360° » par la Compagnie de papier. Commande que je ne pouvais refuser tant elle fait écho à mes préoccupations de toujours. Parce que je nommais déjà « Sols » mes sculptures en dernière année d’études aux Beaux-Arts. Parce que dans la 1ère note de ce Journal irrégulier, en 1999, j’évoque le texte d’Edmond Husserl, L’Arche-terre ne se meut pas, dans lequel la question de la terre comme sol est posée sous le prisme de la phénoménologie. Parce que je dessine des carottages et des éléments de géologie sur les pages du livre Pierres et terrain de Gaston Bonnier (1880). J’avance donc lentement dans ce texte de commande, en attendant une prochaine période de résidence au laboratoire d’archéologie du CNRS à Rennes, en décembre. J’avance en coupant mes journées en deux. Matins chéris de l'écriture. Du temps dilaté de l'écriture. Qu'il n’est jamais facile de quitter. De la difficulté de passer d’une chose à une autre. Mais comme il y a beaucoup de chantiers ouverts cette année, et pour ne pas me sentir morcelée, dispersée, pétrifiée par la multiplication des fragments, j’ai imaginé une stratégie qui consiste à penser que tout est une seule et même chose. Une chose certes curieuse, mouvante et polymorphe. Une chose insatiable qui se nourrit de tout et que tout nourrit. En ce moment j’y inclus ma lecture du livre de David Abram, Comment la terre s’est tue (2013), et celle du Manuel de cartographies potentielles : Terra Forma, de Frédérique Aït-Touati, Alexandra Arènes et Axelle Grégoire, que j'ai réouvert et qui constituera une source pour un projet de Recherche-Création ("Territoires communs" récits et  cartographies) à venir, avec les habitant·es d'une commune du Finistère.

11.07.2023

De retour de quinze jours de résidence


07 novembre 2023


De retour de quinze jours de résidence à Carpentras, où j’ai fait la rencontre de Laurence Decaesteker. Beaucoup de conversations. Nous avons été invitées, elle comme plasticienne, moi comme écrivaine, par l’association Les Voyages de Gulliver, dans le but de mener ensemble des ateliers autour du thème des chemins coutumiers dans un centre d’accueil qui héberge des personnes isolées et en grande précarité. Le format était nouveau pour moi. Il a fallu adapter l'atelier d'écriture à un public fluctuant, interagissant dans l’immédiateté et souvent en incapacité de se poser pour écrire — et imaginer des formes de prises de notes et des enregistrements individuels ou collectifs, dedans et dehors, toutes collectes de paroles que je transformais ensuite en récits à partager. Cette première résidence de l'année a également été l’occasion de me poser pendant quelques demi-journées, en dehors de toutes autres sollicitations, dans l’écriture du texte "Recours à la nuit". Le dimanche du passage à l’heure d'hiver, nous avons décidé de visiter l’exposition “La Nuit Démesurée” dans le parc des Baronnies. Magnifiques photographies de nuits étoilées et  plongée dans les nuits textuelles de Jean Giono. Photographié cette citation : "ma sensibilité dépouille la réalité quotidienne de tous ses masques ; et la voilà, telle qu'elle est : magique. Je suis un réaliste" (J. Giono, "Noé"). J'aime l'apparent paradoxe, la qualité magique du réel me parait aujourd'hui très évidente. Encore faudrait-il définir la magie, par exemple avec David Abram, comme l'expérience de vivre dans un monde fait d'intelligences multiples et la  capacité à changer de forme de conscience / d'expérience : "en propulsant, dit-il, son attention de côté, en-dehors, dans la profondeur d'un milieu à la fois sensuel et psychologique, dans le rêve vivant que nous partageons avec le faucon qui plane, l'araignée, ou le rocher laissant en silence se développer des lichens sur sa face rugueuse" (D. Abram, "Comment la terre s'est tue"). Balades et pique-nique dans les ruines d'une église l'après-midi. Puis marche nocturne dans une nuit venteuse. Depuis une petite chapelle de la Consolation, nous avons suivi la colline, emprunté une route forestière en écoutant les rafales dans les arbres et les cailloux rouler sous nos pieds — avec l'odeur des pins dans les narines — sans voir autre chose de la pleine lune que son halo entre les masses nuageuses. Quelques jours avant mon retour, une tempête de Toussaint frappait la pointe du Finistère, sans faire trop de chutes d’arbres chez nous. Mais l'ampleur des dégâts alentour nous fait réfléchir à nos dépendances électriques.



9.19.2023

Ils semblent loin les kilomètres


19 septembre 2023


Ils semblent loin les kilomètres de routes dans les lumières d’Atacama. Mais je reprends mes notes sur les nuits d’observation des étoiles. Et me plonge dans le 1er volume des poèmes de Gabriela Mistral, Essart, paru en 2021 aux éditions Unes (un deuxième tome, Pressoir, qui complète ce 1er vient juste de paraître). Puis l’université reprend de la place dans mon emploi du temps. Sinon c’est une année de voyages en France qui se prépare puisque j’irai écrire et travailler de Carpentras à La Ciotat en passant par Rennes, Nîmes et Dunkerque. Ici, le grand atelier est presque prêt, reste à construire le mobilier : des rangements sous les combles et 2 bureaux dont un, mobile, pour travailler debout. J’avance lentement sur le Recours à la nuit — ce sont quelques paragraphes, des rencontres, des lectures,  l’organisation mentale d’un ensemble de choses à agencer en attendant des périodes plus propices à de grandes plages d’écriture. Les petits poèmes-trouvés m’accompagnent quotidiennement et j’ai été saisie, dans le mémoire d’Isabelle V., par cette idée d’une pratique “en adoption” (versus “en invention”) — le terme est de Joan Foncuberta dans son Manifeste pour une post-photographie (Actes Sud, 2022) — il valorise l’acte de recueillir, de faire siens les signes, les mots, les phrases, les images des autres, que l’on reformule et réassocie et dont on fait sa propre matière. Le mot me frappe d’autant plus que ces centons, je les appelle des "poèmes-trouvés" comme on dit des enfants-trouvés, et qu'à travers cette question d'une écriture en adoption c’est toute une généalogie familiale qui s’éclaire. Généalogie par laquelle j’hérite d’une certaine forme d’errance, comme un stigmate invisible, qui rejaillirait dans mes écrits. Sergueï Eisenstein, lui, parle de “montage par attractions”. J'aime également ce terme d’attractions qui donne à penser que l’on n’adopte pas des phrases-rejetons, des phrases-boutures totalement par hasard, et que, si elles disent quelque chose de nous, elles ont également quelque chose à nous dire.



9.04.2023

En montant dans la vallée de l'Elqui

 
14 juillet 2023 — Vallée de l'Elqui, Norte Chico, Chile

En montant dans la vallée de l'Elqui, c'est comme si nous avions changé de saison, l'été est revenu, le vent est chaud à Vicuña, village de naissance de la poète Gabriela Mistral. Dans le musée qui lui est dédié je découvre, à travers ses poèmes, son rapport très physique aux paysages de son enfance, quelque chose d'à la fois rustique et mystique. Je prends en note quelques lignes de ce qui m'apparait comme un poème adressé à la terre et un fragment adressé au ciel, ci-dessous. Bientôt nous irons dans les collines observer le ciel nocturne, et dans cette région semi-désertique du Norte Chico peut-être apercevrons-nous un pan de "cet espace peuplé de mondes, non d'étincelles" qu'a fréquenté Gabriela quand elle s'appelait encore Lucila. 

Amo una piedra de Oaxaca
o Guatemala, a que me acerco,
roja y fija comme mi cara
y cuya grieta da un aliento

Al dormirme queda desnuda;
no sé por qué yo la volteo.
Y tal vez nunca la he tenido
y es mi sepulcro lo que veo... [Cosas]

J'aime une pierre de Oaxaca
ou de Guatemala, de laquelle je m'approche
rouge et fixe comme mon visage
et dont la fissure apporte un souffle

Quand je m'endors elle reste nue ;
je ne sais pas pourquoi je la retourne.
Et peut-être que je ne l'ai jamais tenue
que c'est ma tombe que je vois

Yo le mostraría el cielo del
astrónomo, no el del teólogo ;
le haría conocer ese espacio
poblado de mundos, no poblado
de centellos ; le mostraría todos
los secretos de esas alturas. [La instrucción de la mujer]

Je vous montrerai le ciel de
l'astronome, pas celui du théologien ;
je vous ferai connaître cet espace
peuplé de mondes, non pas peuplé
de scintillements ; je vous montrerai tous
les secrets de ces altitudes.



7.31.2023

Visiter le Museo de los artes precolombiano

 
12 juillet 2023 - Santiago, Chile

Visiter le "Museo de los artes precolombiano" pour sentir, par les traces des peuples qui l'ont habité, à travers les objets rituels, artistiques et usuels qu'ils ont laissé, ce territoire long de 4000 kilomètres, coincé entre montagnes et océan, pacifique, chaîne de volcans, déserts et Cordillère. Ces objets, qui associent usages et significations, et dont l'essentiel nous échappe, sont des figures parfois mi-humaines mi-animales, où terre et mer sont représentées (entrelacées sous forme d'un crocodile et d'un serpent), où écriture est aussi dessin, est aussi tissage, un art de liaisons et d'associations d'une beauté incroyable, des chapeaux tissés à oreilles, des étoiles en pierres taillées, des sculptures de groupes de danseurs ou de chamanes assis, fumants, des femmes enceintes associées à des coupes, des pots, des vases, des personnages-objets, et, ce qui ressemble à de très petites poupées, des momies d'enfants à peine nés avec sur le visage un masque d'argile peint. Je me demande si ces couleurs et ces matières, ces formes et ces objets issus d'autres temps et d'autres relations au monde, résonnent encore d'une manière ou d'une autre dans ce pays longiligne, à la fois océanique, désertique et montagneux. J'aime à penser que nous les sentirons peut-être, ces milles formes, sur la route, dans les montagnes, à la tombée de la nuit — tout comme nous gardons en bouche le goût des baies de Maqui qu'un chilien Mapuche nous a fait gouter, sur le cerro Santa Lucia, dans l'après-midi. 



6.29.2023

Et donc, ils sont revenus


Jeudi 29 juin

Et donc, ils sont revenus, les petits poèmes flottants, ces centons écrits à partir du florilège des ( ) de jour. En les proposant pour traduction à Deniz Dagdelen ("Le Dactylo Méditerranéen") ils me sont revenus à l’esprit. Non parce que je les avais oubliés, mais parce que j'ai repris le fil de ces poèmes-trouvés (exactement comme on dirait des enfants trouvés) — poèmes agencés-recueillis, adressés à distance, depuis un ailleurs vers un ailleurs. J'ai nommé la 1ère série, écrite pendant le confinement, Lettres océanes, en clin d’œil à Cendrars : "la lettre-océan n’a pas été inventée pour faire de la poésie mais quand on voyage, quand on commerce, quand on est à bord, quand on envoie des lettres-océan, on fait de la poésie" (B. Cendrars in Feuilles de route). J'en lirai une partie au festival des poésies contemporaines "Et Dire Et Ouïssance", ce vendredi, à Brocéliande. J'en poursuis l'écriture à partir du même dispositif, de coupes et d'agencements de citations, avec ce fil d’ariane qui est une adresse par-delà le temps et l’espace. Ces petites formes sont des respirations en accompagnement de projets plus lents et plus volumineux, de projets associés à des territoires. Et puisque deux chatons juste arrivés nous forcent à garder les portes closes sur le jardin, je nous fais lecture de poésie, Benoit Casas (Combine) et Emmanuel Laugier (Chant tacite), l’un puis l’autre en fin d'après-midi.